Rencontre avec la VF de Neve Gallus dans Dragon Age: The Veilguard
Ségolène Alunni sur le plateau de Head Shot, l'émission des portraits d'ORIGAMI.

Ce mois-ci dans Head Shot, Marion Bargiacchi a eu le plaisir de discuter avec une ex-collègue de travail partie prêter sa voix à une sorcière de l'empire Tévintide. Cette interview de Ségolène Alunni vous est proposée en vidéo, en podcast, et même à l'écrit. On vous souhaite un bon moment !

Marion Bargiacchi : Bonjour Ségolène !

Ségolène Alunni : Bonjour Marion !

Par souci de transparence, je vais quand même dire au début de cette interview que nous avons été collègues. Nous avons été consœurs d’open space à France Bleu car tu travailles à la radio, tu es chroniqueuse aussi à la télévision sur LCP, notamment. 

Exactement, dans La Matinale. 

Tu parles culture, tournage, cinéma, jeux vidéo parfois !

Rarement, mais ça peut arriver. Le jeu vidéo aussi, ça fait partie de la culture. 

Surtout, tu es comédienne et comédienne de doublage et aujourd’hui, je te reçois parce que tu as donné de la voix pour un personnage de Dragon Age, Neve Gallus. 

Neve Gallus, personnage badass. 

Certains diront le meilleur personnage de ce jeu. 

C’est vrai, il y en a qui le disent ? Oh wow.

J’avais très envie de parler avec toi de ce métier-là, de comédien/comédienne de doublage. Quand on ne vient pas du tout de ce milieu-là, on se demande comment ça se passe. Comment est-ce que tu as mis un pied dans ce monde ? Sachant que je crois que tu as fait d’autres voix dans le jeu vidéo. Là, c’est ton premier « gros rôle ». 

Oui, c’est ça, c’est mon premier rôle, on va dire, sur la longueur qui est de bout en bout dans le jeu. Alors, comment faire du doublage ? Déjà, c’est assez différent qu’on fasse du jeu vidéo, de la série ou du cinéma. Ce sont des castes, vraiment, on va dire « compartimentées ». Les studios de doublage de jeux vidéo ne sont pas du tout les mêmes, ce ne sont pas du tout les mêmes directeurs artistiques, ceux qui embauchent les comédiens. Donc, à partir du moment où on fait du jeu vidéo, ça ne veut pas dire qu’on va pouvoir faire facilement de la série ou du cinéma qui est encore un truc en plus fermé pour y rentrer. J’ai fait de la série et un petit peu d’animation, enfin de série animée. 

Tu as fait NCIS et des films sur Netflix aussi, si je ne dis pas de bêtises. 

Tout à fait. NCIS, j’ai fait des films sur Netflix et Les Experts CSI Vegas. Je crois que ça passe en ce moment, je fais une médecin légiste. Du coup c’est super parce qu’on peut faire plein de personnages différents. Et ce qui est assez merveilleux dans le doublage, c’est encore le cas aujourd’hui, moi ça fait huit ans que j’en fais, c’est qu’on peut rentrer par la petite porte. Aujourd’hui, vaut mieux faire des formations parce qu’en fait c’est que du réseautage, vraiment. C’est encore un métier où on peut rentrer en se présentant avec un CV devant les studios de doublage, en y allant bien tôt le matin et en essayant de rencontrer ce qu’on appelle des D.A. dans le milieu, des directeurs artistiques. Comme les metteurs en scène ou les réalisateurs, c’est eux qui nous dirigent en fait pendant la session. Donc c’est tout à fait possible, mais il faut s’accrocher. Moi j’ai fait le pied de grue devant les studios de doublage toutes les semaines. J’y allais en plus de mon taf à France Bleu quand on s’est rencontrées. Les jours où je ne travaillais pas à France Bleu, j’allais démarcher. Il y a énormément de studios de doublage à Paris et en région parisienne. Beaucoup sont en banlieue. Il faut prendre les adresses et puis essayer de repérer à quoi ressemblent les directeurs artistiques pour se dire « Ah tiens, c’est lui, je vais aller lui proposer mon CV ou proposer d’assister aux sessions ». Ça marchait beaucoup comme ça à une époque, surtout avant Covid. Parce qu’après, sur les règles d’hygiène, ils ont été plus sévères. Mais d’assister aux sessions d’enregistrement…

C’est possible ? 

Complètement ! C’est même recommandé pour après espérer qu’on te dise « Ah, toi, au fond de la salle, tiens, viens faire un essai sur tel personnage » ! Et ensuite on aura peut être la chance soit de laisser son CV, soit peut être d’être rappelé après pour éventuellement faire ce qu’on appelle « une ambiance ». Et une ambiance, c’est quoi ? C’est comme de la figuration pour le cinéma : on fait des voix qui sont dans le brouhaha derrière et ça vaut aussi en jeu vidéo. Il y a des ambiances ou des tout petits rôles. 

Par exemple, un marchand dans un environnement. 

Exactement. Eh oui, on les entend. D’ailleurs, quand on joue aux jeux vidéo, on entend. 

Beaucoup de « petites poches de parlote ». 

Dans le monde du doublage, ça permet en fait aux comédiens qui débutent de se faire connaître en étant testés. Et ça, ça marche aussi bien sur la série, le cinéma que les jeux vidéo. 

Donc tu avais fait ça dans le jeu vidéo ? Des ambiances au départ ? 

Oui ! Alors du coup, j’ai commencé par les séries et ensuite j’ai découvert qu’il y avait des studios de jeux vidéo, donc c’était encore à repartir à zéro parce que c’est, comme je le disais, c’est un autre circuit, totalement d’autres personnes. Du coup, il y a moins de studios de doublage de jeux vidéo en région parisienne, mais il y en a  ! Ils centralisent les gros des gros jeux. Le studio le plus fort s’appelle Keywords. Il a regroupé d’ailleurs, si je ne dis pas de bêtise Dune Sound et la Marque Rose, qui étaient des studios emblématiques d’enregistrements de doublage pour le jeu vidéo. Ils sont situés à la limite avec Boulogne-Billancourt dans le 16ᵉ arrondissement et font de gros jeux dont… Dragon Age qui vient de sortir. Moi je les ai… on va dire… travaillé au corps ! Parce que c’était compliqué de relancer les personnes à chaque fois. Je venais faire le pied de grue, assister, passer des castings, laisser des démos et c’est vraiment très très long. Donc il faut s’accrocher. C’est possible, mais voilà. Mais même quand on a déjà, quand on a fait un rôle ou plusieurs, ça ne garantit pas qu’on en ait régulièrement. C’est vraiment un travail, c’est de la chance, du réseautage et de l’acharnement. 

Dragon Age, ça a commencé il y a longtemps. Il y a au moins deux ans ? 

Il y a deux ans et demi, trois ans. On a terminé les derniers enregistrements, il n’y a pas si longtemps que ça. On est en quoi ? En novembre ? On a terminé au début de l’été. [Le jeu est sorti le 31 octobre, NDLR]. C’étaient vraiment les dernières retouches. Parce que ce qui était marrant dans ce jeu, c’est qu’on a enregistré des sessions… C’était monstrueux la quantité de phrases à enregistrer ! 

Les développeurs, on avait fait un argument marketing, je crois que c’était 140 000 mots ou lignes de dialogues. 

J’ai plus compté ! Je n’aime pas les chiffres, mais du coup, oui oui, je les ai bien senti passer ! Et l’on en a eu encore plus que ça parce que ça a été réécrit. C’est pour ça qu’on est revenu au début de l’été, parce qu’on avait des retouches en fait à faire. Il y a des phrases qui ont été modifiées, donc on nous a fait écouter les phrases qu’on avait enregistrées deux ans avant et il y avait une légère modification. Que ce soit la conjugaison ou un terme de vocabulaire, que les développeurs ou les traducteurs ont voulu changer. On a réenregistré énormément de phrases, mais ça c’est assez fréquent dans le doublage et le jeu vidéo, surtout. 

Comment se déroule une session d’enregistrement ? C’est sur de longues heures, c’est par petites touches ?

Ça dépend des besoins, ça dépend de ce que reçoivent les directeurs artistiques. Les premières sessions sur Dragon il y a quasiment trois ans, c’était 4 à 5 heures d’enregistrement quasiment sans pause. Et alors, ce qui est spécifique au doublage de jeux vidéo, c’est qu’on n’a pas d’images. 

C’est ce que j’allais te demander !

Alors qu’en série ou en cinéma, on est face à un immense écran, comme dans une salle de cinéma, sans les sièges, avec une barre devant soi. On en voit de plus en plus des coulisses de réglages dans les making of. On a l’écran avec l’image et l’on fait ce qu’on appelle de la synchronisation labiale avec le texte qui défile en dessous de l’image. En jeu vidéo, on n’a pas l’image. Ça arrive sur les cinématiques qui, sur Dragon Age par exemple, n’étaient pas terminées. J’ai vu les cinématiques avec des morceaux de Neve Gallus, c’est-à-dire un bras en couleur, puis tout le reste blanc crayonné, qui était animé.

Il y avait son visage quand même ?

Oui, oui. Il y avait son visage avec le mouvement des lèvres, mais ce n’était pas du tout finalisé. Elle était dans un espace, le décor, on ne le voyait pas. Enfin après ça dépendait de l’avancée au moment où l’on enregistrait. Mais la plupart du temps, sur les dizaines et des centaines d’heures, c’est des enchaînements de phrases sur un tableau Excel.

Neve Gallus dans Dragon Age: The Veilguard

Ces phrases, elles sont dans un tableau, répertoriées, froides ? Le directeur artistique est là pour gérer ça ?

Heureusement qu’il est là ! Son rôle, c’est de nous contextualiser la scène. Ce qui est complexe, et parfois, je trouve que ça peut s’entendre sur certains jeux vidéo, des phrases s’enchaînent dans un même personnage et on se dit « mais on dirait que ça n’a pas été enregistré au même moment ». Mais en fait, c’est le cas ! Parfois, on enregistre dans le désordre, c’est-à-dire que d’une phrase à l’autre, donc d’un fichier à un autre, le DA va nous dire « Donc là, vous êtes en train de vous battre contre des dragons, donc volume fort, il faut monter la voix », et puis « tu es stressé parce que Rock est en danger ». Tu prends ces indications-là et tu prononces la phrase et ensuite, phrase d’après : « Bon, là vous êtes plus cool, vous étiez dans une grotte en train de discuter, c’était réunion, donc là redescend en volume.. » Le doublage, ce n’est que des choses comme ça. 

Il faut une sacrée élasticité mentale. 

Après on est un peu en automatisme, on ne se pose pas trop de questions. C’était tellement long, on avait des centaines de fichiers à enregistrer donc du coup il faut choper vite le ton, les indications et puis se projeter un minimum. Mais oui, c’est un switch mental assez costaud. 

Ces enregistrements, tu les fais seule ? Parfois vous êtes plusieurs en même temps ? 

En jeu vidéo, on est seul ! En tout cas, dans toutes les expériences de jeux vidéo que j’ai eues, j’étais seule : Guild Wars pareil, Spiderman pareil. 

Tu as fait de la voix sur Spiderman ?!

Mais là, c’était des ambiances pour le coup ou des petits rôles. Il avait un rôle de policière. Et puis un passant dans la rue, un truc comme ça. Je me suis cherchée dans Spiderman, je n’ai pas trouvé. Je n’ai pas passé énormément de temps, mais quand même.

Si quelqu’un retrouve le PNJ de Ségolène, qu’il nous contacte ! 

Ah oui, qu’il le dise, c’est clair. 

Et du coup, pour revenir à la question, pour avoir une cohérence quand on enregistre seul, le directeur artistique est primordial.

Clairement, sans lui, il n’y a pas de doublage. Sans aucun contexte, c’est compliqué. Alors par contre, on a quand même le fichier de la version originale, donc on entend la voix anglaise et l’on peut se référer aux fichiers sonores de la VO

Est-ce qu’on t’a fourni, je ne sais pas moi, une documentation sur le personnage ? Quelques éléments de contexte, pour saisir la personnalité…

Non alors, au début, pour des personnages importants, comme ça on passe un casting. Donc du coup, c’est sur audition. Il nous avait déjà contextualisé pendant le casting, qui elle est, qu’il fallait descendre la voix dans les graves, etc. Donc du coup déjà on s’agence un peu au moment de l’audition. Quand tu as la chance d’être pris, tu es content. Et ensuite, pour la première session, on peut avoir des images. Je crois qu’on avait une image du personnage figé et après une description envoyée par les développeurs. Et donc du coup c’est le DA qui nous dit « bon bah voilà, elle c’est une mage, elle a une jambe de bois ». Enfin là en l’occurrence c’était un cobra en or et ils nous décrivent les caractéristiques de la personnalité du personnage. Et à partir de là, YOLO quoi. 

Tu avais joué aux opus précédents ? (Je connais déjà la réponse, mais ça me fait rire de poser la question) 

Du tout, mais pas du tout. Mais en plus ce qui est drôle, c’est que j’adore les jeux vidéo, mais je n’y joue pas. Moi j’aime bien regarder les jeux vidéo, c’est-à-dire que j’ai la chance d’avoir un frère qui est accro aux jeux vidéo et qui en a même fait son métier, il travaille en tant que sound designer, et qui du coup est un gros gamer. Régulièrement, je me fais des sessions chez lui où je dis bon, « c’est quoi les nouveautés ? ». Et en fait, je suis devant sur le canapé, comme si j’étais au cinéma parce que je trouve que c’est fascinant ce qu’on arrive à faire aujourd’hui avec le jeu vidéo. Pour tout vous dire, quand on était petit, j’ai commencé à jouer aux jeux vidéo à peu près en même temps que lui. Lui est un peu plus jeune. Mais bon, il était clairement beaucoup plus joueur que moi : Age of Empire, les jeux de course… Mais moi j’ai commencé en jouant à Tomb Raider ! Même les derniers, j’y ai joué. Là, je prends la manette ou le clavier, mais voilà, j’ai quand même joué à des jeux quand j’étais jeune. Aujourd’hui, j’aime vraiment regarder, ça a atteint des niveaux… Ça fait longtemps que c’est d’une grande qualité au niveau graphique, esthétique et puis au niveau des histoires. Moi ce que j’adore aussi ce sont les mondes ouverts. J’aime bien voir les autres se balader. Par exemple, dans Red Dead Redemption, j’ai regardé plein de fois et j’aime trop dire « est-ce que tu peux aller là-bas et tuer ce cerf pour en faire à un barbeuk » ? Je trouve que c’est vraiment hyper intéressant. Et puis c’est inspirant. Ce n’est pas une extension du cinéma, c’est encore une autre proposition. Moi je suis très cinéphile par contre, mais je consomme ça un peu comme je peux regarder une série. 

Pour revenir sur le doublage, est-ce que l’expérience de comédienne de doublage sur une série, un film est vraiment très très différente du jeu vidéo ? 

Pour toutes les raisons que j’ai évoquées tout à l’heure, du fait qu’on n’a pas l’image. Ce qui est cool sur le jeu vidéo, c’est que, même si au bout de 4 h d’enregistrement à regarder des fichiers, enfin juste des phrases, ça peut être un peu lassant, c’est qu’au moins on a peut-être un peu plus de liberté d’interprétation. Quand on double de vrais humains filmés en prises de vues réelles, on est quand même un peu coincés et contraints de suivre vraiment l’interprétation de l’acteur qui joue. Tandis que dans le jeu vidéo et le dessin animé un peu aussi puisque qu’on laisse plus de place à l’imaginaire. Voilà, je pense que c’est plus inventif. Donc du coup, il y a quelque chose de peut-être un peu plus créatif, on se l’approprie davantage. 

Tu as une préférence ? Est-ce que je peux te dire de choisir entre tes enfants en gros ? 

Non, franchement, non. Mais moi j’aime bien faire des tas de choses. Voilà. Comédienne, radio, télé. Donc je n’aimerais pas choisir non plus, parce que tout s’enrichit, enfin tout se nourrit les uns les autres. Donc non, le doublage de jeux vidéo, c’est super. Et puis après c’est vrai qu’en plus, s’entendre quand ton frère joue à Dragon Age. C’est un peu schizophrène !

Parce que, du coup, tu n’y as pas joué !

Non, non, j’ai regardé. C’est très compliqué.

Est-ce que ça fait pas bizarre justement de s’entendre dans un film, une série ou dans le jeu vidéo ? 

Oui, c’est curieux. Après, j’imagine que c’est comme tout acteur qui se regarde même quand il joue au cinéma. Enfin, en prise de vue réelle, on s’écoute en fait.

Il y a un côté egotrip un peu non ? 

Ah, on ne fait pas ce métier par hasard. On est tous des petits problèmes d’ego, c’est sûr ! Peut être un peu moins dans le doublage ou du coup, on est séparé de l’image, mais en tout cas on s’écoute, et on se juge un peu. On se dit, « bon ici, le ton ça va. Là, j’aurais dû faire autrement ». Forcément.

Mario Bargiacchi et Ségolène Alunni sur le plateau de Head Shot.

Est-ce qu’il y a des choses que tu regrettes sur ce doublage par exemple ? 

Des choses que je regrette… En voyant certaines scènes que je n’avais pas sous les yeux en fait. Et parfois, le D.A n’avait pas forcément un contexte extrêmement précis. Ou c’est peut-être moi qui ai merdé, hein, clairement. Mais parfois, je me disais « ah là, j’aurais dû être un peu plus intense ou plus triste ». Je me souviens, il y a quelques jours, on a fait une session avec son frère justement. Je me faisais la réflexion : « mince, je crois que je suis passé un petit peu à côté de la scène ». Je ne sais pas si ça s’entend, parce qu’après on est très sévère envers soi-même. Mais oui, des microdéceptions on va dire, mais c’est comme ça pour tout ce que je fais. 

Des fois, les directeurs artistiques manquent d’infos ? 

C’est rare, mais ça arrive parfois, ils ne sont pas trop sûrs du contexte exact. Moi je suis hyper admirative, je vais le citer, de Florent Collignon, celui qui m’a dirigée en majorité parce qu’il y a eu plusieurs D.A. sur trois ans. C’est lui avec qui j’ai enregistré pendant quasiment deux ans. Sur la quantité de fichiers qu’on enregistrait, sur chaque phrase de Neve Gallus, à chaque fois, j’étais sidéré par le contexte qu’il avait ! D’une phrase à l’autre, ça changeait de scène. Et donc là, à chaque fois, il recontextualisait : « Il s’est passé ceci ou cela avec Rook puis avec Harding, qui a fait tel truc juste avant, elle te demande ton avis ». Et en fait, il avait tout le jeu en tête.

Il n’avait pas une petite bible avec lui ? 

Non ! Après, ils passent leur temps à enregistrer et surtout, ils enregistrent les mêmes sessions d’affilée avec tous les personnages, ils switchent à chaque fois. Mais alors je ne sais pas comment ils font pour faire des journées entières comme ça. Le 9h-20h… C’est vraiment un sacré truc. 

Juste pour revenir sur cette histoire de casting. Comment ça se passe ? Vous passez les un après les autres, devant les autres ? 

Non, non, non. Même pour le cinéma, c’est cool. Ce n’est pas Popstars.  On est avec le D.A. avec qui l’on va bosser si l’on est pris, un ingénieur du son : on est trois dans la pièce. Parfois, il peut y avoir aussi le client, mais généralement maintenant, ils sont à distance. On ne les voit même pas, ils écoutent juste. Et on enregistre. Quoique, pour le casting, je ne sais même pas s’ils étaient là, c’est peut-être pour les premières sessions, je ne me souviens plus. En tout cas, ils nous passent quelques fichiers, puis on enregistre. Ça dure cinq, dix minutes. 

Ah oui, c’est très court. Il faut faire ses preuves très vite. 

Oui, de toute façon, ils saisissent tout de suite. Ils en ont sélectionné quelques-uns. Et puis, c’est au ton de la voix, l’enchaînement des phrases. Il n’y a pas besoin d’en enregistrer 50 pour voir si l’on capte le personnage.

Et est-ce que tu penses que ça va t’ouvrir d’autres portes dans le doublage de jeu vidéo ? 

Alors j’aimerais bien. D’ailleurs, j’ai un appel à passer parce qu’évidemment je vous ai livré une bille il y a quelques instants…

Tomb Raider...

C’est mon rêve ! Alors je sais qu’il y a un jeu qui est en préparation. Donc voilà, je m’adresse à tous les D.A. qui seraient susceptibles de faire les sessions de doublage du prochain Tomb Raider… je rêve de faire la voix de Lara Croft !  C’est mon jeu. Et puis en fait, une des grandes sources d’inspiration vocale que j’ai eue depuis que je fais du doublage, et même avant… Vous vous souvenez de la doubleuse de Lara Croft, Françoise Cadol ? Elle a aussi doublé Angelina Jolie et a bercé toutes mes heures de jeu devant Tomb Raider. Je pense que je m’en suis vraiment inspirée, même pour la radio, pour tous les exercices de voix que j’ai fait, pour le doublage, mais aussi la narration, des voix off, des voix, pubs, etc. Elle fait partie des sources d’inspiration féminines vocales. Donc du coup, si un jour je peux faire Lara Croft… Ne serait-ce que passer le casting !  

C'est Amazon Games qui donne la direction du prochain jeu Tomb Raider, co-développé avec Crystal Dynamics.

Laissez-la passer le casting s’il vous plaît ! Mais justement, passons sur un volet un peu plus personnel. Tu l’as rencontrée, Françoise Cadol ? 

Oui, je l’ai interviewée à la radio, justement pour la questionner, un peu comme là en interview-portrait, pour savoir comment on devient doubleuse, qu’est-ce que ça fait de doubler Angelina Jolie, Sandra Bullock ? Elle a fait tellement de trucs. 

Toi aussi tu fais beaucoup de choses. Et, au départ, tu es quand même plutôt cinéma…

Moi j’ai une formation de comédienne.

C’est vrai que je n’ai pas posé la question, mais, souvent, les comédiens de doublage sont comédiens… 

Oui, alors… on ne dit pas « comédien de doublage ». En fait, quand j’ai commencé à démarcher, il y a huit ans, quand je faisais le pied de grue devant les studios, je demandais « alors, comment devient-on doubleur » ? Là, on m’a tout de suite arrêté en disant « on ne dit pas doubleur, on dit acteur ».  En fait, il faut savoir que la plupart — sauf ceux qui ne font que du doublage, mais c’est assez rare — sont comédiens de théâtre, jouent au cinéma et font du doublage. Il y a un noyau dur de très très bons comédiens de doublage qui tournent tout le temps, des voix qu’on entend partout et qui sont très bien. C’est vrai qu’ils font plus de doublage le reste. Mais sinon, un comédien est un comédien, le doublage est une corde à son arc dans le métier d’acteur. Moi je n’ai pas du tout commencé dans le doublage, mais au théâtre. Après, j’ai fait un peu d’images, et très vite j’ai commencé à faire de la radio… le média a pris de plus en plus de place dans ma vie. Peu à peu, j’ai arrêté le théâtre, je n’ai fait que de la radio et ensuite je suis arrivée à Paris, j’ai repris mon métier de comédienne en faisant du doublage. Donc voilà, derrière un micro et là depuis un peu moins d’un an à la télévision pour parler de culture. 

Et je me souviens qu’à France Bleu, tu avais même créé une émission dédiée au cinéma. 

Exactement, « Terres de tournage », qui a duré un an et qui, maintenant, existe toujours sur une forme plus courte qui s’appelle « Ça tourne ». C’est diffusé tous les dimanches à 16 h 30 sur France Bleu. J’interviewe des réalisateurs ou des acteurs et surtout des métiers de l’ombre du cinéma pour les découvrir par le prisme d’un film qui sort.  Au lieu de faire la promo traditionnelle d’un film, on va parler aussi des métiers comme ceux des techniciens ou la scripte. C’est quoi une scripte, un chef opérateur ? C’est quoi le HMC ? Faire entendre la voix de ceux qu’on n’entend jamais et ne pas faire venir que les acteurs et les réalisateurs…

Un peu comme les comédiens de doublage… Alors c’est vrai que les comédiens de doublage aujourd’hui ont un peu le vent en poupe. Je ne sais pas si vous parlez beaucoup justement entre confrères et consœurs du métier ou c’est un milieu extrêmement compétitif ? J’ai l’impression que les places sont tellement rares ! 

En fait, il y a de plus en plus de monde qui va en faire. Je le vois depuis que je suis un peu dans le métier, même si, encore une fois, j’ai fait plein plein de choses. Il y a des périodes creuses énormes parce qu’il y a du monde. Je crois qu’il y a 5000 comédiens sur la place de Paris qui sont dans le circuit du doublage. Sur les 5000, il y en a 500 qui travaillent vraiment. Et c’est vrai qu’il y a de plus en plus de formations — payantes évidemment — qui existent pour se former, pour apprendre les rudiments…

Et pour avoir un réseau.

Exactement, même moi qui ai plus d’expérience parfois que ceux qui font ces formations-là, j’en ai fait aussi pas mal, jusqu’à l’année dernière encore. Pour rencontrer des D.A. et faire entendre sa voix. À moins d’avoir de la chance de tomber sur les bonnes personnes au bon moment… pour perdurer, faut y aller.

À moins de devenir une star de la discipline ! 

Je n’ai pas le secret, la clé pour ça, donc je ne pourrais pas vous conseiller. 

Quand tu auras doublé Lara Croft, je ne vois que ça. 

Alors là oui ! J’espère que ça va arriver. 

Est-ce que tu aurais un petit conseil en plus de ce réseautage ? Est-ce qu’il y a des exercices particuliers pour les gens qui veulent travailler leur voix. 

Faire du théâtre. Pour moi, c’est la base de tout : pour s’exprimer en public. Enfin, moi je fais du théâtre depuis mes six ans et je sais que ça m’a fait un bien fou et j’en ai pris conscience toute petite. Et après, en faisant du théâtre, des cours vraiment sérieux, extrascolaires, c’est bon pour la diction, l’élocution. On apprend à parler. Au théâtre, on apprend à s’exprimer, à placer sa voix et à articuler, à apprendre des textes. Et je pense que ça, c’est vraiment la meilleure formation. 

Qu’est-ce qu’on te souhaite pour la suite ? À part le fait de doubler Lara Croft évidemment !

Eh bien de continuer à garder la flamme ! Je ne sais pas si je suis là pour donner des conseils, mais c’est important de garder de la bonne humeur et ne pas se laisser ronger par une forme d’aigreur qui peut atteindre certaines personnes.  Je sais qu’à un moment donné aussi, c’était plus compliqué pour moi. On peut se dire « ouais, il n’y a pas de place » ou « c’est toujours les mêmes », mais je pense qu’il ne faut pas être dans cette dynamique-là : c’est un milieu dans lequel on peut être vraiment très joyeux et c’est le fait de dégager de bonnes ondes qui fait que les gens viennent à vous. Il faut se diversifier, vraiment, se concentrer que sur un aspect du métier ça enferme et je trouve que c’est très enrichissant pour son jeu d’acteur ou pour son métier de journaliste d’être gourmand et de s’enrichir. Et puis, c’est un peu bête de dire ça, de dégager de la joie et de rester enthousiaste face à tous ces projets. 

Et un petit mot pour les joueurs de Dragon Age ? 

Ah oui bien sûr ! Surtout, choisissez les missions avec Neve Gallus, il y a plein d’options. 

Parce que quand même, t'as passé du temps avec ces lignes sur le tableau Excel !

C’est clair, c’est pour ça ! Non, mais oui, mais il est ultrafoisonnant ce jeu. Vous en avez pensé quoi d’ailleurs ? 

Moi j’ai beaucoup aimé, mais après je n’en attendais pas grand-chose. Je n’étais pas une joueuse acharnée des premiers épisodes, mais comme je disais dans plusieurs podcasts diffusés récemment, c’est le jeu « charentaise ». C’est-à-dire que tu prends la manette, c’est très confortable.

En mode facile ?

Je joue toujours en mode facile. Parce qu’on n’a pas le temps. On a plus de 30 ans, on n’a plus le temps. Je confesse, mais non, j’ai trouvé le jeu très agréable. Je ne sais pas ce qu’en pense ton frère ?

Alors est-ce que je le balance ? Non, non, non. Il m’a dit texto ces mots, « c’est un jeu très généreux. Super les graphismes, notamment les décors ». C’est vrai que le travail sur les couleurs, les lumières, c’est dingue que parfois « c’est un peu, un peu trop généreux et qu’on peut, ça s’éparpille ». Et même moi parfois qui était là en spectatrice, je me demandais où on en était ! Mais sinon, oui, agréable et moi j’aime bien. J’avoue, je ne connaissais pas du tout Dragon Age et j’aime bien cet univers complètement fantastique. On se demande où ils sont allés chercher tout ça. 

Tu es fière d’avoir travaillé là-dessus ? 

Ah, mais carrément ! Je suis trop contente ! Et puis j’adore ce personnage. 

C’est vrai qu’on n’a pas parlé de ta relation avec le personnage.

C’est marrant parce que moi, quand ils m’ont choisi là-dessus, je me suis un peu reconnue dedans, peut-être parce que j’avais envie de m’y reconnaître. Le fait que ce soit une nana un peu forte qui prend les devants et, en même temps, qui reste en retrait parfois parce qu’elle est sage, elle a vécu des trucs. J’aime bien prendre des airs un peu empruntés, un peu graves. Puis après, selon les options que vous choisirez, avec notamment les histoires intimes, soit elle envoie un peu bouler, soit elle est dans un truc un peu romantique, elle brise sa carapace. C’est intéressant. 

C’est vrai que ça t’a fait, ça t’a donné l’occasion de jouer des tas d’émotions. 

Ce qui est génial dans ce jeu aussi, c’est qu’il y a un rapport au genre. C’est-à-dire que donc que peut être un homme, une femme ou non binaire. Donc du coup on enregistrait trois fois certains choix, si Rook est une femme, un homme ou est non genré.e. On utilisait un terme neutre, donc on a enregistré beaucoup de fois la même phrase. 

Merci beaucoup Ségolène !

Mais avec plaisir, merci beaucoup.

Propos reccueillis par Marion Bargiacchi.