L’autre jour, alors que Kevin partait interviewer un développeur japonais pour Origami, je lui demandais en toute innocence : c’est aussi galère que ce qu’on dit, d’interviewer un développeur japonais ? Il m’a dit que oui, plutôt, puis il m’a dit que non, pas trop, puis il s’est perdu dans des explications si longues que je lui ai proposé d’en faire une newsletter, que voici. Bonne lecture !
Il y a quelques semaines, j’ai eu l’opportunité de me prêter à l’exercice de l’interview, que j’apprécie particulièrement. Ma joie était pourtant teintée d’une certaine dose d’appréhension : la personne que je m’apprêtais à rencontrer n’était ni plus ni moins que japonaise. Ça peut paraître anodin, mais dans le petit milieu de la presse jeux vidéo française, les interviews japonaises sont entourées d’une aura de clichés plus ou moins engageants. On raconte qu’on peut y entendre des réponses très longues traduites en une phrase de trois mots, mais aussi des réponses de trois mots traduites en de très longues phrases. On prétend n’y récolter que des propos évasifs et assez plats, contrôlés en direct par une armée d’attaché·es de presse prêt·es à bondir sur la moindre info réelle pour la bâillonner immédiatement. De manière générale, on les conçoit rarement comme des expériences très chaleureuses ou détendues.
Et vous savez quoi ? C’est… plutôt vrai, en fait. Ça l’a été, du moins. Assez pour que naissent les a priori tenaces.
Il faut dire que la langue japonaise sait se montrer proprement acrobatique quand il s’agit de mettre les formes autour d’un propos, à plus forte raison quand il est tenu dans un cadre officiel. Et sans équivalent direct, le français peut souvent se contenter d’un simple "merci" ou "c’est vrai" pour transcrire des phrases autrement alambiquées dans leurs versions originales. À l’inverse, cette même langue sait aussi très bien circonscrire des idées complexes et/ou multiples dans un seul mot. Alors oui, effectivement, les réponses en japonais peuvent se démarquer très fortement de leurs traductions. Et ça peut être déstabilisant dans un contexte chronométré comme l’interview, et d'autant plus pour les francophones quand – comme c’est généralement le cas – l’anglais agit comme intermédiaire.

Cela dit, tout ça ne change rien à nos problèmes de discours plats et évasifs. Mais savez-vous qui sert également ce genre de soupe tiède ? Absolument toutes les stars du monde entier en tournée média. Et savez-vous maintenant quel·les ont longtemps été les seul·es Japonais·es du jeu vidéo accessibles depuis la France ? Mais oui bien sûr, naruhodo* ! Les stars en tournée média ! La simple distance géographique a bien aidé à installer un genre de biais du survivant, aujourd’hui gommé par des années d’internet et de croissance de l’industrie du jeu vidéo qui facilitent et normalisent l’accès à une plus grande diversité d'intervenant·es.
Le problème ici n’est donc pas celui des Japonais·es, mais plutôt celui des interviews, qui sont souvent plus belles quand on les déniche nous-même que quand elles nous sont servies dans des contextes promotionnels. Ça explique pourquoi je retrouvais récemment cette petite appréhension de l’interview japonaise sans l’avoir jamais connue à Nolife. Là-bas, la formidable et regrettée Suzuka savait rencontrer ou accueillir chaleureusement n’importe quel·le Japonais·e, star ou pas, en tournée media ou de simple passage. Alors aujourd’hui, je le dis : n’ayons pas peur des Japonais·es. Méfions-nous plutôt des stars.
(Et puisque je sens bien que vous me poseriez la question si vous le pouviez : écoutez, mon interview s’est très bien passée, merci beaucoup ! Du moins je le crois, et vous pourrez en juger bientôt par vous-même !)
* naruhodo est une locution japonaise très courante, qui sert à marquer une approbation ou signaler qu’on a appris ou compris quelque chose. On pourrait la traduire aussi bien par "oui !", "en effet", "c’est ça !", que par "mais bien sûr !", "je comprends !", "je vois", "tout à fait" ou même "eureka !" dans certains contextes.
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Quoi de neuf chez Origami ?
Vous croyez aimer le foot ? Mais est-ce que vous aimez le VRAI foot ? Avant de répondre à cette question, il faudra chausser vos crampons et affronter la dernière Hebdo qui s’est penchée sur les cas de Football Manager 26 et Inazuma Eleven : Victory Road. Là, j’ai écrit sur mon brouillon que je devais conclure sur une blague à base de péno, mais désolée, je passe sous un tunnel.
Et à l’autre bout du tunnel, il y a le dernier numéro d’Internet Exploreuses ! Ce mois-ci, on se demande si le web n’aurait pas tout simplement détruit la langue française. On révèle aussi des lourds secrets sur le mot “pain”, le passé de cosplayeuse de Lucie et les pratiques colombophiles d'Héloïse.
D’autres petits pains se sont donnés rendez-vous sur le plateau pour une vidéo surprise dédiée à Lumines Arise. Kevin et Gauthier ont tellement apprécié le jeu qu’ils ont décidé d’en discuter en dehors de L’Hebdo, pour un échange cosy et bizarrement chargé en brocolis. Si ce genre de format bonus vous plaît, n’hésitez pas à nous le dire, on serait ravi·es d’en refaire !
J'achève cette liste avec la sémillante équipe des Ori·Ori, qui revient pour un épisode hors-série (baptisé Gaiden) dédié à Shadow of the Colossus, à l’occasion des vingt ans de sa sortie. Ça ne nous rajeunit pas, mais ça nous apprend plein de choses sur le cinéma, la littérature, les arts plastiques, et même Hideo Kojima. Cet épisode est disponible partout où vous écoutez vos podcasts, par exemple ici.
Maintenant que cette infolettre touche à sa fin, je peux révéler que je vous écris du passé, car je ne travaillais pas pour Origami cette semaine. Mais je vous écris AUSSI du futur, où une belle surprise attend nos soutiens Patreon dans quelques jours. Oh tiens, vous entendez ces clochettes ?..